Navigation web et organisation sémantique : il faut sauver l’utilisateur Thésée !
Qui n’a jamais eu l’impression de se retrouver dans un labyrinthe lors d’une première visite sur un site Internet ? Tant de liens, tant de catégories qui s’imbriquent les unes dans les autres, tant de clés d’entrées… Les développeurs sont parfois des Dédale en puissance et les utilisateurs autant de Thésée à la recherche d’une Ariane bienveillante, qui, par le truchement d’une pelote de fil, les amènerait à atteindre leur objectif.
L’ergonomie web a repris la mythologie du fil d’Ariane à son compte pour mettre en lumière l’importance de la localisation des utilisateurs au sein du site. Ce fil va représenter l’arborescence des rubriques que le visiteur a traversées depuis la page d’accueil. Il importe dès lors de réaliser des catégorisations cohérentes, à la terminologie claire, pour une fluidité d’utilisation.
Catégorisation et cognition: de la 4e dimension à Top chef
Les travaux en sciences cognitives ont mis en exergue l’importance de la notion de « représentation mentale » dans l’organisation et la hiérarchisation des informations. Les représentations sont des contenus qui correspondent à des états transitoires de l’information en cours de traitement. Plus simplement, il s’agit de l’image qu’un individu se fait d’une situation, d’un objet, d’un concept, avec tout un système de valeurs et associations autour, en vue d’organiser et d’utiliser une information.
Typiquement, l’internaute désire refaire sa cuisine et se rend sur un site d’ameublement. Il connote ce mot positivement, car dans cette pièce, il se sent l’âme d’un Jean Imbert ou Joël Robuchon. Il imagine une ambiance, un contenu (îlots, réfrigérateur, machine à laver…). A l’inverse, pour un autre, une machine à laver dans une cuisine est une hérésie, et d’ailleurs cette pièce tourne autour de deux éléments essentiels pour lui: l’ouvre boîte, et le micro-onde.
Comment ces deux utilisateurs, aux besoins très différents, vont-ils arriver à se retrouver sur le site ? Et surtout, quels seront leur parcours, leur réflexion, et le temps mis pour accéder à l’objet convoité ? Alors que l’univers produit reste le même : la cuisine.
Les réseaux sémantiques ou l’incertitude des connexions
Collins & Quillian, conscients de l’importance de l’organisation sémantique dans la rapidité du traitement de l’information, ont proposé l’idée d’un réseau sémantique. Il s’agit d’un graphe orienté, comportant des nœuds (les objets), et des arcs, spécifiant la relation entre les objets (de type inclusion : « est un »/ ou de propriété : possède » ) mettre un exemple ?Avec nos machines à laver :
Nous pouvons bien évidemment rajouter X supra ou infra catégories.
Ce qu’il faut retenir, c’est que le temps de traitement correspond à la distance dans le réseau : l’utilisateur ira plus rapidement de son idée ‘machine à laver’ vers la catégorie « appareil ménager » que dans « matériel électronique ». En effet, l’utilisateur part du bas de la hiérarchie (il cherche une machine à laver), puis remonte logiquement dans la catégorie appareil ménager en premier, car celle-ci est plus près.
Mais tout n’est pas si simple. Deux phénomènes ont ainsi été pointés du doigt par Rips et al en 1973.
L’effet d’inversion des niveaux tout d’abord. Nous mettons plus de temps à vérifier « un cheval est un mammifère » que « un cheval est un animal » précise Rips. En effet, contrairement à leur place dans le réseau sémantique, il est plus facile d’associer le mot cheval à animal qu’à mammifère.
L’effet de typicalité ensuite. Certains exemplaires sont traités plus rapidement que d’autres : un « cheval est un mammifère » / « une baleine est un mammifère ». C’est pour cela qu’on été introduit les notions de prototype, et degré de typicalité. Notre cerveau fonctionne parfois comme le jeu télévisé Une famille en or, l’excentricité des candidats en moins. Au mot oiseau, on associera principalement canari, puis pigeon et en fin de liste autruche.
Le tri de cartes: et si on mettait un peu d’ordre?
Et si le webmaster associe poule en premier au mot oiseau ? Comment connaître les associations des utilisateurs ?
La méthode du tri de carte va permettre de construire une arborescence au plus prés des besoins des utilisateurs par l’intermédiaire de tests individuels ou de groupe. On présente à l’utilisateur un paquet de cartes, représentant des contenus du site à analyser. Les participants doivent ensuite faire des groupements qui leur semblent pertinents, et séparent ce qui est différent. Enfin, ils sont invités à labelliser, c’est-à-dire donner un titre à ce groupement. Des variantes existent, mais l’objectif est le même : proposer une architecture cohérente pour la cible du système. Nous pouvons citer ici pour plus de détail l’excellent ouvrage de Gautier Barrière et Eric Mazzone, Card Sorting, Ne perdez plus vos utilisateurs.
Prenons un exemple concret avec une étude de cas
Nous avons choisi de comparer les choix d’organisations et l’aménagement catégoriel de deux sites internet spécialisés dans l’aménagement, Ikea et Alinéa. Chaque site s’organise en supra catégories (cuisine, chambre, bureau…), catégories (plan de travail, placard…), infra catégories…
Des sujets doivent trouver une liste d’articles sur les deux sites. Les observables sont le temps mis pour effectuer la tâche, les commentaires et expressions, les catégories visitées et le retour d’expérience du participant.
Des différences de catégorisation sont évidentes. Prenons l’exemple d’une poubelle en inox. La catégorisation d’Alinéa est plus efficace puisque le sujet trouve le produit en 47 sec, alors qu’il a échoué à trouver le produit sur le site d’Ikea. Le sujet commence par rentrer dans la même catégorie que sur le site d’Alinéa (cuisine), mais ne trouve pas le produit. Une poubelle en inox se trouvait dans la catégorie « salle de bain », « accessoires salle de bain », « accessoire lavabo ». Le sujet n’est même pas rentré dans la catégorie « salle de bain ».
Proposer différentes clés d’entrée peut alors être une solution pour certains produits génériques. Alinéa propose ainsi une catégorisation par « type » d’objets (ex : « tables et chaises ») et un autre type de catégorisation par pièce de la maison, permettant de trouver un objet de différentes façons.
Précision : cet article a été rédigé par Audrey Tichit, dernier cadeau de notre ancienne stagiaire avant de repartir à l’école