On ne peut plus fermer les yeux
Après 3 jours au Web Summit (du 04 au 06/11) de Dublin, qui affichait 22000 inscrits, ma première impression a été la suivante : il n’est plus possible de fermer les yeux. Sur la manière dont le web guide aujourd’hui la création d’entreprise, la production de concepts, services et produits, les processus de fabrication et d’innovation, dont il influence les relations interpersonnelles, les attentes et comportements des consommateurs (du moins ceux connectés). Précisons les choses: il n’est plus possible de fermer les yeux pour les acteurs économiques, les chefs d’entreprises et autres responsables innovation qui n’en étaient pas encore convaincus.
Et ce Summit à l’étranger est une bonne manière pour prendre du recul : think out of the box, certes, mais le faire dans un autre cadre est encore mieux.
Ne plus fermer les yeux sur ce qui se passe, notamment le mouvement des makers (imprimante 3D, robots), les centaines de startup venues pitcher et défendre leurs idées, les objets connectés (le hashtag « IoT »-Internet of things a fortement été utilisé), les processus d’innovation, etc.
Focus sur les start up
Etre surpris et ouvert à l’innovation ne doit pas empêcher de savoir garder la tête froide. Si le Web Summit est impressionnant, il fait aussi sourire sur certaines choses.
C’est en passant à travers une sorte de « hall of fame » (image « wshalloffame) des start up et en se faisant reluquer le badge (non, désolé, je ne suis pas un « investor ») qu’on se rend compte d’une chose assez troublante : les courtes descriptions sur le panneau de chaque start up utilisent souvent les mêmes mots. A tel point qu’on soupçonne qu’un générateur de pitch est fourni à tout bon startuper.
Comme si certains termes privilégiés, certains champs lexicaux étaient le passage obligé, le garant d’une proposition de valeur qui fait mouche à sa lecture. On pouvait donc souvent lire les mots suivants : next generation, app, mobile, social, crowdfunding, the best/easiest/most/fastest, share, personal, network, secure, friends.
Pour ceux qui se demandent s’il faut faire du mobile first et du social tout en sécurisant le données échangées, les start up du Web Summit répondent par l’affirmative.
L’autre élément est la tendance toujours forte (constatée depuis la création de Personae User Lab d’ailleurs) à présenter le nom de sa marque sous une écriture manuscrite liée. Ce fut la cas par exemple pour Whese, Wave, Swoodle, Krittiq, Feelit, Onesky, Sunscious… Cela permet d’éviter de passer du temps à créer un logo et si le jeu de mots est réussi, de donner un aperçu rapide de l’activité de l’entreprise.
Grande entreprise et lean process
A travers la keynote de Moe Tanabian, à la tête du Smart Things Innovations Lab de Samsung, nous avons pu nous rendre compte que cet acteur majeur de la téléphone mobile avait mis en place un process d’itération implacable. Son discours n’est pas nouveau mais il est important de l’entendre encore ne serait-ce que pour prouver que ce processus de création marche bel et bien et qu’il n’est pas l’apanage des start up. Sa conférence faisait partie des éléments sur lesquels il n’est plus possible de fermer les yeux. A retenir en vrac :
- des sprints courts (2 semaines plutôt que 2 mois) qui permettent d’aboutir à un produit fini en 6 mois
- tester sans cesse le produit en l’état pour le faire évoluer rapidement et modifier le hardware ou le code en fonction des retours clients
- ne pas baisser les bras si les résultats sont mauvais et ne pas hésiter à abandonner une mauvaise idée car vous arriverez ainsi plus rapidement à la bonne version
- toujours guider ses efforts avec le fameux « user in mind » (qu’est-ce que les utilisateurs sont prêts à accepter ?)
- et garder aussi à l’esprit ces 3 critères lors de la création d’un produit/service : le social (le poids du regard des autres et de l’image de soi), la charge cognitive (la complexité à utiliser) et l’importance physique de l’objet (quelle place occupe-t-il dans l’espace ?)
Survey Monkey, la culture d’entreprise et le management d’équipe
L’équipe et la cohésion des collaborateurs a été au cœur de l’intervention de Dave Goldberg, CEO de Survey Monkey (outil de publication de sondages en ligne): « Culture is not an accident. You need to recruit the right team to execute the vision you have ». La technologie, la levée de fonds et le bon produit ne font pas tout. Pas sur le long terme du moins.
En effet, le recrutement des bonnes personnes (et pas seulement les plus compétentes mais celles qui vont adhérer au projet, développer la culture d’entreprise et favoriser le travail en commun) est la première étape clé pour créer un produit/service qui plaira au public.
La 2e étape est de faire fonctionner ensemble cette équipe : cela signifie demander à chacun d’être talentueux dans un domaine particulier plutôt que d’être moyen dans plusieurs domaines. Le but étant de mixer ces différentes forces.
Par ailleurs, cette équipe ne pourra être efficace que si le chef d’entreprise s’assure que chaque membre partage le même état d’esprit. Il peut s’en assurer en appliquant la « no assholes rule » : c’est-à-dire qu’il faut savoir se défaire d’une personne, même très compétente dans son métier, à partir du moment où elle sape tout le travail de cohésion d’équipe et de construction d’une culture d’entreprise. Car finalement la compétence à un poste de travail dépend aussi de sa bonne articulation avec la dynamique globale. On en revient à la première règle. Une entreprise ne peut pas se permettre d’avoir en son sein des « junk people ».
Razer et l’exploitation des data pour mieux designer
Razer, une des marques leaders sur le marché des produits pour gamers, a aussi remis l’humain au centre de ses préoccupations. Avec 12 millions d’utilisateurs de ses produits et 13 millions d’objects connectés dans le monde (à fin 2014), la marque récolte en effet un maximum de données sur les habitudes de jeu de ses clients. Et notamment sur la manière dont ils utilisent ses produits et quelles sont par exemples les commandes utilisées le plus souvent sur le clavier. C’est d’ailleurs la première fois que je voyais une heatmap de hardware : Razer réalise ainsi des cartes de chaleur de clavier pour voir quelles sont les touches les plus utilisées, les combinaisons et dans quel ordre.
Le CEO de Razer, Min-Liang Tan, n’a pas manqué d’insister sur le fait qu’il fallait donner du sens aux données récoltées (le fameux big data, même si ce terme n’a pas été prononcé réellement – déjà ringard ?) et que leur richesse résidait dans leur exploitation : « Make better products by analysing the use of the keyboard. What commands are used by the gamers? »
L’équipe de Personae et moi-même se félicitons que l’humain ait encore sa place dans cet océan de nouveautés technologiques et qu’il motive les entreprises à innover. Le chemin reste encore long avant que les usertest et l’analyse des comportements utilisateurs soient généralisés et président réellement à tout processus d’innovation.